J’avais repéré depuis longtemps le spectacle The Elephant in the Room du Cirque Le Roux, mais n’avais pas eu l’occasion de venir à Paris plus tôt. J’ai donc profité d’un court séjour parisien chez mon amie, juste avant Noël, pour découvrir ce spectacle au théâtre Bobino. L’esthétique proposée par l’affiche a suffi pour me séduire.
Conçue comme un générique, la présentation des acteurs nous fait remonter le temps dans les années 30. La poursuite éclaire tour à tour chacun des personnages dont les noms s’affichent en lettrage rétro. Le décor se dévoile. Le salon d’une belle demeure sera le huis-clos, témoin muet d’un crime. La tapisserie du salon couverte de motifs est ornée de trois cadres dont les visuels évoluent au cours du spectacle. Quelques éléments de mobilier trônent dans ce salon : un bureau, un buffet et un sofa.
Un quatuor : une femme et trois hommes ; un couple, Monsieur & Madame Barick alias Miss Betty, accompagné de Petit Bouchon le majordome et de Monsieur Chance, le séducteur américain aux cheveux gominés.
Miss Betty ouvre la première scène, dissimulant dans son décolleté une mystérieuse fiole avant de se cacher dans le buffet afin d’assister discrètement à la scène des trois hommes. Lorsque Miss Betty sort enfin de sa cachette, la tension est palpable. Si John Barick tolère la présence des deux autres hommes, l’attitude de M. Chance va finalement le faire changer d’avis. Lors de sa rencontre avec Miss Betty, M. Chance ne parvient pas tout à fait à ses fins, il use de ses charmes mais elle résiste. Elle se laisse aller peu à peu sous les yeux de son mari jaloux. Dominatrice, elle joue la comédie afin d’attendrir son mari. M. Chance, séducteur invétéré teste alors son charme sur le majordome, Jeune Bouchon. Le majordome surpris dans un premier temps, ne reste pas si indifférent. John Barick de son côté, apprécie la compagnie de Miss Betty. Alors que les plans machiavéliques de sa compagne se révèlent au cours du spectacle, il fait de son mieux pour la séduire. Avec sa moustache lustrée et recourbée à la Salvador Dalí, il tente un rapprochement, joue de sa virilité, pour finir par la couvrir de présents. Miss Betty quant à elle, ne déroge pas à son objectif. Les attentions de son mari ne semblent pas l’émouvoir. Au cours du spectacle, Miss Betty passe d’un rire hystérique à un sourire forcé qui se fige en un instant. Ses faux-cils lui donnent une expression dramatique, en contraste avec le regard tendre de son mari. Petit Bouchon, lui, se laisse porter par les émotions des autres personnages. Il apporte une légèreté à la tension ambiante. Les personnages sont particulièrement expressifs. Les visages se déforment, exagérant les expressions à la façon des acteurs de cinéma muet.
Le titre de cette pièce de cirque The Elephant in the Room fait référence au malaise ressenti par tous les protagonistes mais qu’aucun n’ose évoquer. Le secret est énorme, bien visible mais chacun l’ignore. Ils préfèrent cette atmosphère pesante envahie par les non-dits. En quelques mots, le mariage n’est pas heureux. Est-ce un mariage forcé ? Avait-elle d’autres projets ? À peine le mariage est-il prononcé, Miss Betty se rêve déjà veuve noire.
Lors de la scène de séduction de M. Chance, Miss Betty se glisse au travers du sofa et installe un agrès particulier : un buste de mannequin femme dont la tête a été remplacée par une canne d’équilibre. M. Chance va déployer ses talents d’équilibriste afin d’asseoir son pouvoir de séduction.
Sur le thème La gazza ladra – Overture de Gioacchino Rossini, Miss Betty passe de bras en bras, virevoltant dans un numéro de banquine. Les hommes sont vêtus de dessous blancs à jabots, avec des fixe-chaussettes pour M. Barick et Miss Betty en une combinaison courte à volants. Visage fermé, Miss Betty paraît désincarnée et nonchalante lorsqu’elle est ballotée par ces trois hommes, puis son visage s’illumine de nouveau d’un sourire de circonstance reprenant goût à la parade amoureuse.
Il s’ensuit une valse des lumières. De nombreux abats-jour suspendus et illuminés surgissent. Ils apportent une ambiance lumineuse intimiste. Ce mouvement lumineux précède et donne une autre dimension au duo d’équilibre au sol.
M. Chance et Petit Bouchon nous offrent un duo de claquettes accompagnant la danse acrobatique du couple Barick. La gestuelle est précise et comique. La sensualité de la danse des deux époux amorce un regain de tendresse de Miss Betty à l’égard de son conjoint. Cependant, dés lors qu’il quitte la pièce, la haine cultivée par sa femme ressurgit. Au mur, les cadres sont emplis de photographies des acrobates rappelant l’esthétique du clair-obscur des peintures de Caravage. Cette scène prend vie au cours du spectacle.
Les numéros de cirque sont au service du scénario. On assiste à plusieurs passages de main à main, des équilibres sur canne, un duo d’équilibristes au sol, un quatuor à la banquine, un duo de claquettes, pour finir par le mât chinois. Les numéros sont particulièrement bien amenés et s’intègrent parfaitement aux différentes scènes. Le mât chinois est introduit tel un cadeau, serti d’un énorme nœud de bolduc. Ce présent accompagne un autre cadeau : le costume couvert de motifs de fruits que John Barick offre à son épouse. Miss Betty cache difficilement sa déception. Elle réapparaît affublée de la robe salade de fruits avant de s’élancer sur le mât chinois avec les trois autres protagonistes. Le passage au mât chinois se conclut par une tour formée des quatre artistes. La fin du spectacle accompagnée par la musique d’Ennio Morricone The Trio, est légèrement abrupte.
Ce spectacle d’inspiration cinématographique sur fond de jazz (Joséphine Baker – La Congla Blicoti), d’électro (Metronomy – Nights out / Moderat – A New Error), de musique classique (Gioacchino Rossini – La gazza ladra – Overture) est très réussi. Vous l’aurez compris, ce spectacle m’a enthousiasmée grâce à sa scénographie, sa musicalité, son rythme, son scénario, sa théâtralité, ses costumes et ses numéros circassiens.
Conception : compagnie Cirque Le Roux
Mise en scène : Charlotte Saliou
Musique : Alexandra Stréliski
Distribution : Grégory Arsenal (Jeune Bouchon), Yannick Thomas (John Barick), Philip Rosenberg (M. Chance), Lolita Costet (Miss Betty)
Je vous recommande vivement ce spectacle qui m’a vraiment séduite. Si vous n’avez pas l’occasion de voir ce spectacle en salle car il n’est pas à l’affiche dans votre ville, vous pouvez regarder la captation par TV5Monde >>ici<<.
Pour suivre les actualités de la compagnie : www.cirqueleroux.com